Généalogie : cas d'étude
20 mai 2024 Sylvain B. |
Depuis plus de 10 ans, après avoir récupéré un nombre important de photos de famille que mes parents m’avaient demandé de numériser, j’ai décidé de reprendre un travail entamé par ma mère à une époque où internet n’était que peu d’aide et de me mettre à la recherche de mes ancêtres en utilisant essentiellement les ressources et données proposées en ligne.
Il faut savoir qu’il y a encore peu, il était nécessaire de se déplacer au mieux aux archives départementales des départements concernés ou au pire dans chaque commune concernée par notre arbre voire de prendre contact avec les associations généalogiques.
Aujourd’hui, de nombreuses ressources sont disponibles en ligne et permettent généralement de faire l’essentiel du travail. Cependant, dans certains cas, il va être nécessaire de recouper de nombreuses informations, de faire preuve d’un peu d’imagination et d’utiliser des ressources pas nécessairement dédiées à la généalogie.
Après un bref panorama des outils et ressources utiles voire indispensables au généalogiste, je vous proposerai un petit compte rendu de quelques « cas » rencontrés lors de l’élaboration de mon arbre d’ascendance qui permettent d’illustrer le fait qu’en généalogie, on travaille rarement sur des certitudes mais qu’il faut prendre le temps d’évaluer la fiabilité des sources afin d’obtenir (ou pas) suffisamment de raisons de valider une hypothèse plutôt qu’une autre.
Partie I : les outils numériques du généalogiste
1) Les archives départementales
Comme expliqué dans notre tutoriel présentant comment démarrer son arbre généalogique, aujourd’hui la grande majorité des registres paroissiaux et d’état civil de France sont numérisés et disponibles en ligne sur les sites des archives départementales. Ils constitueront la ressource principale du généalogiste pour construire son arbre.
Si tout va bien, ces registres permettent alors de remonter au moins jusqu’en 1700 voire parfois bien avant.
On retrouve également de nombreuses numérisations disponibles à l’étranger et notamment dans les pays limitrophes de la France :
- en allemagne, c'est compliqué et souvent payant comme indiqué sur Geneawiki
- archives nationales en Belgique
- archives nationales en Espagne
- archives nationales en Italie (disponible dans plusieurs langues dont le français)
- en Suisse on peut retrouver des registres cantonaux
2) Les bases de données en ligne
De nombreuses bases de données alimentées par les utilisateurs ou les associations sont également disponibles (avec parfois des abonnements à prendre pour accéder à l’intégralité de celles-ci) .
Même s'il faut parfois être prudent avec les informations disponibles sur ces sites (nous le verrons par la suite), ils permettent très souvent un gain de temps énorme pour le généalogiste.
Pour ma part, j’utilise régulièrement Geneanet et Filae mais, d'autres sont disponibles, et vous en trouverez une liste non exhaustive dans notre tutoriel mentionné précédemment.
3) Les sites des associations généalogiques
Certaines associations généalogiques possèdent également des bases de données en ligne provenant des dépouillements effectués par leurs membres. Il est généralement demandé d’adhérer à l’association pour pouvoir y accéder.
À noter également que certaines associations travaillent en étroite collaboration avec les sites cités ci-dessus et y publient l'intégralité de leurs dépouillements.
4) Les autres outils
Les outils de cartographie comme Qwant maps ou Google maps sont indispensables pour se repérer géographiquement. Nos ancêtres se déplaçaient beaucoup moins que nous donc certaines hypothèses peuvent être parfois plus ou moins évidentes en fonction de la proximité géographique.
Un convertisseur de calendrier (républicain grégorien) comme celui du village de Poissons qui ne paye pas de mine mais qui fonctionne très bien.
On peut citer aussi parmi les outils plus classiques comme /Wikipedia, la bibliothèque de la BNF en ligne Gallica ou encore la Wayback Machine qui permet de visualiser des sites web tels qu'ils apparaissaient à une date donnée.
Voici donc une bonne base de départ de liens à ajouter dans ses favoris afin de remonter sereinement le fil des siècles.
Passons maintenant à la pratique avec quelques situations que j’ai pu rencontrer et qui m’ont demandé un peu plus de travail qu’une simple consultation des bases de données.
Partie 2 : les parents introuvables
Nous allons commencer à explorer mon arbre à la fin du XIXème siècle dans le nord de la France avec mon arrière-arrière-grand-mère (Adèle Ducrotois). L’énigme concernant sa famille et notamment ses parents m’a occupé pendant plusieurs années jusqu’à il y a peu où j’ai enfin découvert une piste qui me paraît être très probable.
À l’époque, je disposais de l’acte de mariage d’Adèle avec mon arrière-arrière-grand père Alfred Louis Méry daté du 12 février 1877. Celui-ci nous donne plusieurs informations concernant Adèle :
Nous avons le nom de ses parents :
- Hubert Ducrotois et Ludivine Gernez
- l’âge d’Adèle et son lieu de naissance
- la date exacte et le lieu de décès d’Hubert
- l’âge de Ludivine et le fait qu’elle habite à cette date Doullens
Donc en premier lieu, j’ai souhaité récupérer l’acte de naissance d’Adèle en parcourant les actes de naissances autour de 1858 sur Maubeuge. Cet acte était alors impossible à trouver.
J’ai également parcouru les registres des communes aux alentours sans succès. Les bases de données généalogiques ne contenaient pas l’information non plus.
Passage par l'acte de décès du père
Je me suis donc rabattu sur l’acte de décès de son père Hubert pour obtenir des informations. Cette fois-ci, les informations étaient exactes et l’acte disponible :
Des informations intéressantes nous disent que Hubert serait âgé d’environ 65 ans, donc né aux environs de 1809 à Hargnies dans le Nord et que son père se prénommerait également Hubert.
Évidemment, les changements de prénoms étant fréquents à cette époque, cette dernière information est à prendre avec précaution. Cependant, le prénom Hubert n’étant pas des plus courants à l’époque (environ 0,15 % de l’ensemble des prénoms selon Geneanet), il serait étonnant qu’il ait été choisi comme prénom d’usage au hasard.
Après une recherche poussée dans les registres d’état civil d’Hargnies et des communes environnantes, pas de traces de Hubert Ducrotois.
Retour sur Adèle
Une recherche sur Geneanet, Filae et dans les archives m’a alors permis de découvrir des actes correspondant à des naissances et décès de frères et soeurs d’Adèle avec les informations suivantes :
- 19/04/1859 : naissance de Désirée Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 47 ans et Ludivine Gernez âgée de 32 ans à Hautmont
- 09/02/1861 : naissance Henri Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 48 ans de Ludivine Gernez
âgée de 28 ans à Hautmont - 22/07/1862 : décès de Désirée Ducrotois (4 ans) de Hubert Ducrotois âgé de 52 ans et Ludivine Gernez âgée de 39 ans à Neuf-Mesnil
- 21/07/1863 : naissance de Désirée Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 52 ans et Ludivine Gernez âgée de 33 ans à Neuf-Mesnil
- 08/07/1865 : naissance de Sidonie-Joséphine Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 52 ans et Ludivine Gernez âgée de 33 ans à Maubeuge
- 23/12/1867 : naissance de Alphonsine Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 54 ans et Ludivine Gernez âgée de 35 ans à Maubeuge
- 10/12/1869 : naissance de Louis Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 56 ans et Ludivine Gernez âgée de 38 ans à Hautmont
- 08/01/1871 : décès de Henri Ducrotois (10 ans) de Hubert Ducrotois âgé de 58 ans et Ludivine Gernez âgée de 36 ans à Hautmont
- 05/02/1871 : décès de Haldonie Ducrotois (6 ans née à Neuf Mesnil) de Hubert Ducrotois âgé de 60 ans à Hautmont
- 14/11/1872 : naissance de Constantin Ducrotois de Hubert Ducrotois âgé de 64 ans et Ludivine Gernez âgée de 41 ans à Hautmont
Ces différentes informations nous permettent tout d’abord de retracer le parcours géographique de la famille sur les 3 communes limitrophes de Maubeuge, Neuf-Mesnil et Hautmont :
Cela confirme également que Hubert est né aux environs de 1810 et Ludivine aux environs de 1830. Toutes mes autres recherches se sont alors révélées infructueuses, je n’avais aucune piste pour remonter plus haut cette branche de mon arbre généalogique.
Des informations du nord
Puis quelques années plus tard, une nouvelle recherche sur Geneanet me dirige vers un avis de décès publié dans « Le grand écho du Nord de la France » du 24 janvier 1904 (page 5) et disponible sur Gallica :
Je découvre donc que Ludivine est décédée le 2 janvier 1904 à Hautmont, je retrouve alors son acte de décès espérant y découvrir d’autres informations :
Ludivine serait donc née à Bouchain à une cinquantaine de kilomètres de Maubeuge.
Malheureusement, la consultation des tables décennales de Bouchain pour les périodes 1823-1832 et 1833-1842 ne donne aucune naissance avec le patronyme Gernez (ou ses variantes phonétiques).
Élargissement de la zone de recherche
J’en profite également pour vérifier la présence de Ducrotois sur la commune mais sans plus de succès. Cependant, cela me donne une autre « zone de jeu » pour mes recherches et je commence à vérifier les communes limitrophes à Bouchain :
Je finis enfin par tomber sur l'acte de naissance d’Adèle à Denain :
et celui de Ludivine à Haspres :
Ce dernier acte me permet alors de retrouver les parents de Ludivine dans l’acte correspondant puis de remonter cette branche assez facilement à l’aide des bases de données collaboratives.
Malheureusement, toujours aucune trace d’un Hubert Ducrotois et je me retrouve de nouveau dans une impasse sur cette branche.
Vers la solution
Trois ans plus tard (nous sommes alors fin 2023), les relevés collaboratifs progressant et les bases de données devenant de plus en plus importantes, je me décide à me repencher sur le « cas Ducrotois ».
Les recherches classiques dans les bases de données ne donnent toujours rien. Je décide alors d’effectuer une recherche géographique sur le patronyme « Ducrotois » entre 1800 et 1850 afin de tenter de découvrir la commune d’origine de Hubert.
Je m’aperçois alors que dans les environs de Denain, l’essentiel des « Ducrotois » est situé en Belgique sur les communes de Péruwelz et de Leuze-en-Hainaut. Ces deux communes étant situées à une distance comprise entre 20 et 30 km de Denain, il est tout à fait possible que Hubert Ducrotois en soit originaire.
Je me replonge dans les actes mais cette fois-ci en Belgique. L’avantage, c’est que de nombreux index des actes sont présents et facilitent cette recherche. Je tombe rapidement sur cette ligne dans la commune de Leuze-en-Hainaut :
Ce qui m’amène à l’acte suivant :
Il s’agit donc d’une piste très intéressante pour les raisons suivantes :
- le père de ce François Hubert s’appelle également François Hubert
- Hubert était un prénom peu utilisé à l’époque (comme évoqué précédemment)
- le prénom François quant à lui étant très fréquent et la table des naissances de Leuze en Hainaut montrant qu’il existait d’autres François Ducrotois contemporains de ceux-ci, il est fort probable que nos deux François Hubert utilisaient le patronyme Hubert quotidiennement.
- la date (1808) correspond à l’âge de Hubert que nous retrouvons sur les autres actes.
La probabilité que ces François Hubert Ducrotois soient mes ancêtres est donc très importante. Cela me permet de valider pour le moment cette hypothèse que j’espère pouvoir confirmer dans les années qui viennent si je découvre l’acte de mariage de Hubert et Ludivine sur lequel je n’ai pas encore aujourd’hui réussi à mettre la main.
Sur la base de cette hypothèse, j’ai pu alors remonter « complètement » cette branche de mon arbre jusqu’aux environs de 1650.
Partie 3 : les deux « Jeanne »
Dans cette troisième partie, je vais aborder un autre cas qui m’a donné du fil à retordre et qui se trouve sur la branche de mon grand-père maternel. L’arrière-arrière-grand-père de ce dernier se nomme Charles Marqueton et est né à Argenton-sur-Creuse dont est issue la quasi-totalité de cette branche de mon arbre.
Son acte de naissance du 18 décembre 1776 :
nous apprend que son père est inconnu et que sa mère se prénomme Jeanne. Son parrain étant « Charles Boulatinier » et sa marraine « Anne Guidalet ».
Peu d’informations sont disponibles sur Jeanne afin de retrouver ses parents. Une recherche dans les bases de données me permet cependant de trouver assez facilement l’acte de décès de Jeanne qui nous apporte beaucoup plus d’informations :
En résumé :
- la comparution de son fils Charles pour déclarer son décès nous confirme qu’il s’agit bien de la bonne Jeanne Marqueton
- le fait qu’il n’y soit pas fait mention d’un quelconque conjoint vivant ou décédé va dans le sens que Jeanne ne s’est probablement jamais mariée
- Jeanne serait née à Argenton sur Creuse aux alentours de 1752
et enfin, l’information la plus importante ses parents sont Jean Marqueton et Anne Villedieu.
Tout était si simple...
Tout semble donc très simple sauf que c’est justement là que cela se complique car impossible de trouver une quelconque relation entre un Jean Marqueton et une Anne Villedieu aux environs d’Argenton sur Creuse : pas d’acte de mariage, pas d’acte de naissance, de mariage ou de décès d’un enfant si ce n’est l’acte de décès de Jeanne.
De plus, les associations généalogiques de l’Indre et notamment l’association généalogique du Bas-Berry étant très actives, il est à noter que la quasi-totalité des actes de mariage du secteur ont été dépouillés et sont disponibles sur Geneanet.
À partir de là, il est quasiment certain qu’il n’ait pas existé une union entre Jean Marqueton et Anne Villedieu et l’hypothèse la plus probable est que Charles n’ayant peut-être pas connu ses grands-parents ait fait une erreur lors de la déclaration du décès de Jeanne.
Sur la piste de l'erreur
Il a donc été nécessaire d’approfondir dans cette direction en consultant de manière plus approfondie les bases de données disponibles. Je découvre alors les deux unions suivantes :
- Jean Marqueton (né en 1708) avec Catherine Dejoye (née en 1729) mariés le 6 juillet 1745 qui ont eu une fille Jeanne née en 1752
- Guillaume Brunet (décédé en 1761) avec Anne Villedieu (née en 1698 et décédée en 1770)
D’autre part, deux « Jeanne Marqueton » seraient nées aux environ de 1750 à Argenton sur Creuse : la première susnommée et la deuxième en 1758 mariée à Jean Groslier et décédée en 1806.
A priori, on peut alors supposer que Jeanne Marqueton, fille de Jean Marqueton et Catherine Dejoye, serait la mère de Charles.
Il reste cependant des informations à vérifier car l’acte de mariage de Charles le 1er octobre 1811
nous apprend la présence à son mariage de Jean Rouet (34 ans) et de Ursin Militon (30 ans) tous deux cousins germains de Jeanne.
S'assurer du lien de parenté
Il va donc s’agir de reconstituer les arbres et fratries autour de Jeanne et de ses deux cousins afin de vérifier qu’ils sont bien de la même famille.
Un premier travail de décortication des actes et bases de données m’amène à l’arbre suivant qui confirme le fait que Jeanne Marqueton et Jean Rouet sont effectivement cousins germains par alliance :
Il reste donc à retrouver le lien de parenté entre Jeanne Marqueton et Ursin Militon. Celui-ci a l’air moins évident puisque je ne le trouve pas dans les cousins germains au premier degré de Jeanne. Il va donc être nécessaire d’aller voir un peu plus loin.
Ursin : un prénom peu commun
Je décide alors de reconstituer l’arbre d’ascendance d’Ursin sachant que c’est un prénom très peu courant, je n’ai aucun mal à le retrouver dans les bases de données et son acte de naissance nous réserve même une petite surprise :
En effet, sa marraine se trouve être Jeanne Marqueton, mais laquelle ? Je vous rappelle, comme mentionné un peu plus haut, qu’il y a deux Jeanne Marqueton nées dans les mêmes dates.
Cependant, cet acte me permet de reconstituer l’ascendance d’Ursin. Son ascendance maternelle nous apprend rapidement que la deuxième Jeanne Marqueton évoquée un peu plus haut est la tante par alliance d’Ursin :
Est-ce pour autant sa marraine ? Pas nécessairement car Ursin est né le 24 février 1780 et Jeanne ne s’est mariée avec Jean Groslier que le 9 janvier 1781 soit près d’un an plus tard.
De plus, si on continue à remonter, on découvre que les deux Jeanne Marqueton sont en fait cousines issues de germain :
C’est-à-dire qu’elles ont des arrières-grands-parents communs comme l’indique l’illustration ci-dessous :
Source /Cousin_(famille)
Jeanne Marqueton et Ursin sont donc cousins germains éloignés au premier degré par alliance. Même si cela commence à être un peu compliqué, on peut imaginer que Jeanne ait pu être proche de cette branche de la famille d’où le fait qu’elle ait été marraine d’Ursin et celui-ci témoin au mariage de Charles.
Il m’est donc possible de valider l’hypothèse que Jeanne, dont les parents sont Jean Marqueton et Catherine Dejoye, est bien la mère de Charles avec une probabilité suffisamment forte et de continuer à remonter maintenant cette branche.
Le détail final
Maintenant, si vous avez été suffisamment observateur, vous avez sans doute remarqué sur le premier arbre ci-dessus que Charles aurait une soeur Marie. En effet, au cours de mes recherches, j’ai découvert la naissance (et le décès) d’une Marie Marqueton en 1784 (née à Éguzon et décédée à Argenton sur Creuse), fille de Jeanne Marqueton sans père mentionné et qui aurait vécu onze jours.
J’en ai donc raisonnablement conclu qu’il s’agissait d’une soeur de Charles. Voici ci-dessous ses actes de naissance :
et de décès :
Partie 4 : descendant des rois de France et d’Angleterre ?
Dans cette quatrième partie, nous allons quitter mon arbre maternel afin de vous montrer qu’il faut parfois se méfier des évidences.
En effet, du côté de mon père, l’intégralité de mes ascendants sont en Sarthe ou en Mayenne et deux branches différentes recollent une famille noble de la Sarthe : les « De Langlée ».
Un peu de recherche historique cette fois-ci nous apprend que les Langlée tiraient leur nom du lieu de Langlée ou Longlé en Ponthouin (actuellement l'Onglée). Une généalogie, établie au commencement du XVIIe siècle (Cabinet de M. Louis Brière), remonte les Langlée au XIVe siècle, dans la personne de Jean, Sieur de Langlée.
Plusieurs documents historiques font référence à cette famille, on peut citer par exemple :
- Armorial de la Sarthe par Charles-René d’Hozier – p 339
- La Province du Maine par la Société des Archives historiques du Maine volume 12 - p 403
- La Province du Maine par la Société des Archives historiques du Maine volume 6 p 377 relate l’histoire des De Langlée
- Le fief de Chères et ses seigneurs par David Alouis p 28
Toujours est-il que dans les bases de données généalogiques, il est mentionné des dizaines (voire peut-être même des centaines) de fois que Jean de Langlée serait Sir John Clarence, le fils bâtard de Thomas de Lancaster lui-même second fils de Henri IV roi d’Angleterre.
Les premières vérifications
J’ai alors entamé quelques recherches afin de vérifier cette ascendance. La seule référence que j’ai pu trouver (en dehors des sites généalogiques) est celle de la page anglaise de Wikipedia faisait référence à Thomas de Lancaster :
Source /Thomas_of_Lancaster,_Duke_of_Clarence
Soit en français :
En novembre ou décembre 1411, Thomas a épousé Margaret Holland, veuve de son oncle John Beaufort, premier comte de Somerset et fille de Thomas Holland, 2ème comte de Kent. Pas d’enfants ne sont nés de cette union bien que Thomas soit le beau-père de six enfants nés du premier mariage de Margaret qui étaient également ses premiers cousins. Il a eu également un enfant naturel, Sir John Clarence, appelé « le batard de Clarence » qui a combattu aux côtés de son père en France.
Et un peu plus loin :
Soit en français :
John, le fils naturel de Clarence a accompagné la dépouille de son père depuis Baugé à Canterbury pour son enterrement. Sir John Clarence a reçu des terres en Irlande de la part du roi Henri V et fut lui-même enterré dans la Cathédrale de Canterbury. La famille française noble « De Langlée » se réclama comme descendant de lui. Henri V fut forcé de retourner en France avec une nouvelle armée pour rétablir la vérité.
Ce qui est étrange ici, c’est que la page Wikipedia est truffée de références à des ouvrages historiques à l’exception de cette partie.
Un auteur fiable ?
Intéressons-nous maintenant à l’historique de cet article. On retrouve que ces lignes ont été écrites par un certain RSekulovic le 8-03-2009 et il ne cite aucune source particulière pour justifier cet ajout.
Sur la page de profil de Rsekulovic, on ne trouve pas beaucoup d’informations disponibles :
Soit en français :
Je suis écrivain et compositeur avec un grand intérêt pour l’histoire et en particulier l’histoire de France (ma mère était française et j’y ai habité dans le passé). Mes centres d’intérêts comprennent également la numismatique et la généalogie. Je contribue également sous le même nom à la partir française de wikipedia et aux images libres. Je parle, en plus de l’anglais, le français et le serbo-croate (mon père était serbe) et je peux lire l’espagnol, l’italien et l’allemand avec des degrés de connaissance différents.
RSekulovic n’est donc pas un expert en histoire mais plus un passionné et le fait qu’il ait également comme centre d’intérêt la généalogie me porte à croire qu’il a peut-être récupéré l’information sur un site de généalogie sans qu’elle ait été vérifiée.
À noter que, ayant eu une discussion avec une historienne sur wikipedia très active dans les contributions et qui était également intervenue sur cet article, celle-ci a décidé de supprimer cette information tant qu’elle ne serait pas confirmée par une source.
J’ai également posé une question concernant ce point dans les discussions sur la page de Thomas of Lancaster et j’ai interrogé RSekulovic mais sans réponse actuellement.
Trouver d'autres sources
À partir de là, je décide donc d’approfondir les recherches, je tombe assez rapidement sur cette discussion dans un Google Groups dans laquelle un certain Matthew Langley pose la question suivante :
Was wondering if anyone has good sources of information on the son of Thomas son of Henry IV « Jean de Clarence Langlée »... All the talk about the Plantagent lines left me interested in this interesting possible branch, but can't find any information about it besides a mention of it on Wikipedia and a few generations on geanlogics.
Soit en français :
Quelqu’un a-t-il des sources d’informations fiables sur le fils de Thomas lui-même fis de Henry IV : Jean de Clarence Langlée. Toutes les discussions sur les Plantagenets m’amènent à m’intéresser à cette branche possible mais impossible de trouver des informations dessus exceptée une mention sur Wikipedia et des références sur les sites de généalogie.
Le lien le plus intéressant concernant ma recherche est une question posée par le conservateur de la bibliothèque de Tours dans un volume de Notes & Queries du 6 février 1869 :
Et la réponse le mois suivant d’une certaine Hermentrude :
Cette réponse remet en cause le fait que « De Langlée » soit dérivé de « Langley » et évoque la possibilité que ce nom vienne de « L’anglais ». Cependant, comme évoqué plus haut, le nom « De Langlée » proviendrait du lieu-dit « L’Onglée » de la commune de Mézière en Ponthouin. Rien à voir donc avec « Langley » ou « L’anglais ».
Intéressons-nous maintenant à la question posée par un certain « Dorange ». On découvre assez rapidement que Auguste Dorange était conservateur de la bibliothèque de Tours et qu’il a réalisé en 1875 un catalogue des manuscrits de cette bibliothèque /Bibliothèque_municipale_de_Tours.
Probablement qu’au détour de ses lectures et des manuscrits en sa possession, il est tombé sur l’information que les « De Langlée » descendraient de Thomas de Lancastre mais je ne trouve rien de plus sur cette affirmation.
M De Langlée dans l'entourage du roi
On ne retrouve pas non plus de M De Langlée ministre d’état de Louis XIV /Ministres_de_Louis_XIV cependant, on retrouve mention d’un M De Langlée dans l’entourage du roi.
Ainsi, il est mentionné plusieurs fois dans les lettres de Mme de Sévigné :
MM. Dangeau et Langlée[2] ont eu de grosses paroles, à la rue des Jacobins, sur un payement de l’argent du jeu. Dangeau menaça, Langlée repoussa l’injure par lui dire qu’il ne se souvenait pas qu’il était Dangeau, et qu’il n’était pas sur le pied dans le monde d’un homme redoutable. On les accommoda ; ils ont tous deux tort, et les reproches furent violents et peu agréables pour l’un et pour l’autre. Langlée est fier et familier au possible ; il jouait l’autre jour au brelan avec le comte de Gramont, qui lui dit, sur quelques manières un peu libres : « M. de Langlée, gardez ces familiarités-là pour quand vous jouerez avec le roi. »
La Garde vous a mandé ce que M. de Louvois a dit à la bonne Langlée[10], et comme le Roi est content des merveilles que le chevalier de Grignan a faites.
On nous assure que M. de Langlée a fait un traité sur ce changement pour envoyer dans les provinces : dès que nous l’aurons, monsieur, nous ne manquerons pas de vous l’envoyer ; et cependant je baise très-humblement les mains de Votre Excellence.
Et dans « Le grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane - Tome V » (Louis Moréri) p 468, il est mention de Claude de Langlée – Maréchal des Logis et général des camps et armées du roi.
On a alors confirmation de cette information dans « La revue historique des armées ».
Pendant environ un siècle, cet emploi est resté essentiellement entre les mains d’une même famille, celle des Fougeu avec ses différentes branches : Fougeu d’Escures, Fougeu des Fourneaux, Regnaudin, Langlée, Naudet du Verger.
La charge devint vénale en 1664, ce qui permit à Alexandre-Simon Bolé de racheter celle de Claude Langlée, pour son fils, Chamlay. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il n’y avait que trois charges de maréchal général des logis, même si une quatrième fut provisoirement créée pour le fils de Langlée.
De plus, dans « Le bulletin de la société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe » de 1885 page 191 , on apprend qu’il s’agit de Claude de Langlée Ier (1604-1667) lui-même fils d’Alexandre de Langlée et Marie de Regnaudin qui sont déjà dans mon arbre généalogique (je suis en effet descendant en ligne directe d’Alexandre et Marie).
Cependant, toujours aucune certitude permettant de relier la famille de Langlée à Thomas de Lancastre.
D'autre part, plusieurs généalogistes mentionnent le fait que cette ascendance apparaîtrait dans Les cahiers de Saint Louis écrits par Jacques Dupont et Jacques Saillot au cours du XXème siècle et qui reconstituent la descendance de Louis IX. Je n'ai cependant pas encore eu l'occasion de consulter ces ouvrages qui sont épuisés en librairie et éventuellement d'y découvrir d'autres sources.
On retrouve également d'autres discussions sur le web comme celle évoquée plus haut à propos de cette filiation mais étrangement, aucune source contemporaine à Jean de Langlée n'est évoquée.
Aujourd'hui et à ce stade de mes recherches, aucun élément ne me permet donc d’affirmer que la famille De Langlée serait effectivement issue de Thomas de Lancastre cela m’amène donc à considérer que Jean Ier de Langlée n’est pas la même personne que Sir John Clarence.
Conclusion
À travers ces trois exemples, j’ai essayé de montrer que la généalogie est rarement une affaire de certitude mais qu’il est souvent nécessaire d’échafauder des hypothèses, d’en vérifier la fiabilité et de valider ou non certaines pistes sans se jeter tête baissée dans les raccourcis proposés sur le web.
L’OSINT facilite donc les recherches du généalogiste mais celui-ci doit conserver un esprit critique et ne pas hésiter à recouper différentes sources tout en conservant à l’esprit qu’il aura parfois à renoncer à certaines pistes par faute d’informations fiables.