Les documents scientifiques

Les documents scientifiques

2 mars 2024 Rémy G.

On retrouve souvent dans la presse, ou dans l'espace public, des affirmations de la forme « un article scientifique montre que » ou encore « une étude a prouvé que », etc comme on peut le voir dans les exemples suivants :

France Info, janvier 2024   article

Geeko, janvier 2024  article

Marie Claire, 2016  article

Demotivateur, juillet 2022  article

Faisons donc un survol du fonctionnement de la publication scientifique afin de permettre aux non-spécialistes de se faire une idée sur la pertinence et la confiance à accorder à une étude scientifique.

Remarque : dans la suite, quand on parlera de « journal », il faudra lire « journal scientifique » /Revue_scientifique.

Avertissement

Important : certains domaines de recherche comme le droit appliquent des règles différentes de ce qui est présenté dans ce document. Il existe ainsi des journaux francophones très réputés qui n'apparaissent pas dans les bases internationales que nous listons.

Nous allons ici présenter des critères pour estimer la confiance qu'on peut avoir ou non dans un article scientifique. Ces critères ne sont ni nécessaires ni suffisants. Mais ne pouvant pas être spécialiste dans tous les domaines, il est intéressant d'avoir des outils pour identifier rapidement la confiance qu'on peut donner à un document, tout en ayant en tête les limites d'une telle approche.

Pour être rigoureux, il faudrait lire l'article, vérifier les données, les méthodes, faire des études dans le domaine, maîtriser les outils statistiques, etc.

En savoir plus :  Bernard Pochet

Évaluation par les pairs

L'idée générale est que les travaux de recherche dans un domaine doivent être relus et validés par d'autre chercheurs du même domaine, supposés compétents pour évaluer les méthodes, les données, les conclusions, etc.

L'évaluation par les pairs est un principe fondamental de la recherche scientifique, que ce soit pour les sciences dites « exactes » ou les sciences humaines et sociales. Elle est utilisée aussi bien pour ce qui concerne la publication d'articles dans des revues que pour le recrutement et l'avancement des enseignants-chercheurs et le financement de leurs projets de recherche.

/Évaluation_par_les_pairs

Une façon d'évaluer la confiance qu'on peut accorder à un document académique est alors l'utilisation - ou non - du processus d'évaluation par les pairs pour la publication.

Voici ci-dessous une liste non-exhaustive de types de documents, classée selon un indice de confiance subjectif croissant. Cet indice est déduit de l'utilisation - ou non - de la relecture par les pairs avant la publication :

  • Mémoire de master : document écrit par un étudiant de master, normalement validé par l'encadrant.
  • Rapport de recherche : document généralement technique réalisé par une équipe de recherche ou un chercheur engagé sur un projet de recherche. Ce document, écrit par des spécialistes, n'a pas eu de validation par les pairs.
  • Article de conférence : document qui accompagne généralement une présentation faite dans un congrès de recherche, il est la plupart du temps validé par les pairs mais de façon moins contraignante qu'un article dans un journal scientifique. /Actes_de_congrès
  • Ouvrage : document généralement écrit par un ou plusieurs spécialistes reconnus dans leur domaine, voulant faire un point sur l'état de la connaissance sur un sujet donné. Ce document n'est pas obligatoirement validé par les pairs.
  • Thèse de doctorat : document qui relate un travail de plusieurs années, validé par les encadrants de thèse ainsi que plusieurs rapporteurs et examinateurs. /Doctorat
  • Article de journal scientifique : document de référence, qui suit le processus d'évaluation par les pairs. Le nombre d'articles publiés est notamment une métrique qui permet d'évaluer la performance des chercheurs. /Publication_scientifique

Les revues scientifiques

Les articles scientifiques sont publiés dans des revues scientifiques que l'on appelle toujours « journaux » dans le milieu scientifique. Comme partout ailleurs, il y a des journaux plus sérieux et prestigieux que d'autres. Un indicateur classiquement utilisé pour évaluer les journaux est le « facteur d'impact ». /Facteur_d'impact

Cette métrique a des limites et est controversée. Ceci étant, pour un non-spécialiste, elle reste un critère pertinent pour se faire une idée sur le crédit qu'on peut porter à une étude.

Un facteur d'impact reconnu notamment en France dans le milieu de la recherche est le JCR (Journal Citation Reports) de Clarivate.  /Journal_Citation_Reports

Malheureusement, pour pouvoir consulter la base de données, il faut être authentifié, ce n'est donc pas vraiment accessible aux non-chercheurs, mais ce n'est pas le seul critère pour l'évaluation d'un journal.  /Classification_des_revues_scientifiques

Un autre moyen d'avoir une idée sur la renommée d'un journal est d'utiliser le site  Scimago qui calcule l'indicateur SJR. /SCImago_Journal_Rank

Le site est directement accessible et permet de voir le quartile du journal, comme par exemple avec le journal « Applied Mathematics and Computation » :

Capture d'écran  Scimago

Un journal de bonne réputation sera Q1 (top 25% des journaux classés) ou à la limite Q2 (top 50% des journaux). En dessous, c'est-à-dire Q3 ou Q4, les journaux sont considérés comme pas assez bons.

En France, on a l'Hcéres (/Haut_Conseil_de_l'évaluation_de_la_recherche_et_de_l'enseignement_supérieur) qui évalue les laboratoires de recherche, et donc indirectement les chercheurs. Pour ces évaluations, seuls les articles dans les revues de rang Q1 et Q2 sont pertinents.

Dit autrement, publier dans des revues Q3 ou Q4, au-delà de ne pas compter, peut même être un désavantage pour les primes et les avancements dans la recherche académique publique.

Parmi les indicateurs librement accessibles, on peut noter l'Eigenfactor. Si on recherche le même journal sur cet outil, on obtient :

Capture d'écran  Eigenfactor

Les revues prédatrices

Au-delà des revues de « mauvaise qualité », il existe aussi des revues dites prédatrices qui relèvent quasiment de l’escroquerie /Revue_prédatrice. Ces revues prennent la forme de revues scientifiques en affichant toutes les procédures attendues dans ce contexte (revue par les pairs, facteur d'impact), mais dans les faits l'intérêt pécunier passe avant la rigueur scientifique : il suffit de payer pour être publié.

On achète donc la publication dans le journal, peu importe la rigueur du contenu. Il s'avère parfois difficile de tracer une ligne nette entre journal scientifique et revue prédatrice, certains éditeurs pratiquant habilement un mélange des genres.

Il existe des listes essayant de référencer les revues prédatrices comme  BEALL'S LIST ou encore  Predatory Reports, mais ces listes sont généralement créées puis gérées par des collectifs plus ou moins anonymes, donc à prendre avec prudence.

Pour se donner une apparence sérieuse, ces revues affichent parfois des facteurs d'impact non reconnus par la communauté scientifique comme par exemple « The Journals Impact Factor »  JIFACTOR  ou encore « The Global Impact Factor »  GIF.

Ici encore, les frontières entre facteur d'impact sérieux et frauduleux peuvent s'avérer un peu floues. Comme pour les revues prédatrices, il existe des listes non officielles de facteurs d'impact.

Les articles scientifiques

L'expression « publication scientifique » regroupe plusieurs types de communications scientifiques et/ou de diffusions numériques que les chercheurs scientifiques font de leurs travaux en direction de leur pairs et d'un public de spécialistes. Ces publications décrivent de manière détaillée les études ou expériences menées et les conclusions qui en sont tirées par les auteurs. Elles subissent un examen de la valeur des résultats et de la rigueur de la méthode scientifique employée pour les travaux menés.

/Publication_scientifique

Les articles sérieux sont généralement associés à un DOI (Digital Object Identifier) /Digital_Object_Identifier qui est un numéro unique qui permet d'identifier un article et d'y accéder directement, et ce même si l'URL de l'article a changé.

Types d'articles scientifiques

On a noté précédemment que la publication de référence en science était l'article publié dans un journal à comité de lecture. Mais il existe plusieurs types d'articles qui sont publiés dans ces journaux. En voici quelques-uns :

  • Les articles de recherche originaux : c’est l’article scientifique le plus connu. Il détaille la méthode et les résultats d'une recherche originale, tout en apportant les conclusions, les limites et les suites à donner aux travaux.
  • Les articles d'opinion ou articles de perspective : l'objectif est de proposer une réflexion personnelle sur un domaine concernant les recherches faites ou les pistes à suivre.
  • Les articles de synthèse qui résument ou agrègent les recherches faites sur un sujet en particulier. On peut différencier trois types d'article de synthèse :

- Revue de la littérature (narrative) : l'objectif d’une revue narrative est de présenter un état de connaissances, une synthèse, une information de base ou une vue d’ensemble de la littérature scientifique publiée sur un sujet spécifique.

- Revue de la littérature systématique : une revue systématique (systematic review) est une méthode structurée et reproductible pour identifier, évaluer et analyser de manière critique l'ensemble des études pertinentes en réponse à une question de recherche précise. Elle vise à réunir des preuves scientifiques sur cette question en repérant et analysant tous les documents (publiés ou non) à l'aide d'une démarche systématique.

- Les méta-analyses : la méta-analyse est une synthèse statistique de résultats d’études indépendantes ayant trait à une question de recherche bien précise. Cette synthèse des résultats est subséquente à une revue systématique et implique une méthodologie rigoureuse qui fait une utilisation secondaire des données des études sélectionnées dans le but d'en tirer des conclusions fondées statistiquement que chaque étude isolée ne peut pas soutenir de façon autonome. Par ce type de méthodologie, on gagne en puissance statistique.  https://uqam-ca.libguides.com/revues-systematiques/types

En savoir plus :  https://methodorecherche.com/types-articles-scientifiques

Moteurs de recherches spécialisés

Pour pouvoir chercher des articles scientifiques il existe des moteurs de recherche dédiés. L'un des plus ancien et probablement le plus connu est  Google Scholar. Il en existe d'autres, comme par exemple  Scinapse ou encore  Semantic Scholar.

Récupérer un article

Il y a plusieurs façons d'obtenir le contenu d'un article :

  • Directement sur le site du journal si l'article est en Open Access (accès libre)

Par exemple l'article « A simple and effective method to remove pigments from heterologous secretory proteins expressed in Pichia pastoris » est librement accessible sur le site du journal  https://link.springer.com/article/10.1007/s44307-024-00013-z

  • Récupérer la version auteur en utilisant le moteur de recherche  Google Scholar, ou en allant sur  ResearchGate. Il est courant pour les auteurs de mettre à disposition la première version de leur article avant la mise en page de l'éditeur. Normalement, le contenu est le même que l'article final publié par le journal, à quelques corrections mineures près (orthographique par exemple).

Par exemple, l'article « Review on robot-assisted polishing: Status and future trends » n'est pas complétement disponible sur le  site du journal, mais une version auteur est disponible sur  ResearchGate.

  • Contacter directement les auteurs. Bien souvent sur les articles, il y a un corresponding author, qui est la personne à contacter si on a des questions sur l'article. Si vous n'arrivez pas à trouver une version de l'article, il ne faut pas hésiter à directement demander une version du document aux chercheurs.
  • Il existe enfin une dernière solution quand les précédentes n'ont rien donné : utiliser Sci-Hub : /Sci-Hub. C'est toutefois un site illégal en France, et donc chacun agira comme bon lui semble.

Organisation d'un article scientifique 

La grande majorité des articles suivent la structure suivante :

  • Le résumé (abstract en anglais) permet d'avoir une vue d'ensemble sur l'objet de l'article. Il présente le contexte dans les grandes lignes, le contenu de l'article et un avant goût de la conclusion.
  • L'introduction permet de situer le contenu de l'article dans son contexte : pourquoi on fait ça, qu'est-ce qui a déjà été fait avant, quelles limites existent, à quelle problématique répond la recherche présentée, etc.
  • Le contenu de l'article se découpe généralement en plusieurs sections, expliquant par exemple la méthodologie, les expérimentations, les démonstrations, etc.
  • La conclusion permet de terminer l'article en interprétant les résultats. On peut aussi trouver une partie discussion qui met en perspective les résultats trouvés, pointe les limites de l'étude et fournit des pistes d'amélioration pour de prochaines recherches.
  • La bibliographie contient tous les articles cités sur lesquels se sont basés les auteurs pour écrire l'article et faire leur travail de recherche.

Pour un non-spécialiste, lire le contenu de l'article peut être compliqué. Cependant, il est toujours possible de se faire une idée sans avoir à comprendre et maîtriser tout le travail de recherche :

  • Lire le résumé pour vérifier si l'article parle bien de ce que l'on pense.
  • Lire éventuellement l'introduction pour avoir davantage de précisions sur le contexte dans lequel s'inscrivent les recherches présentées.
  • Lire la conclusion pour avoir l'interpretation des auteurs sur leur travail.
  • Regarder dans la bibliographie s'il n'y a pas des ressources intéressantes pour aller plus loin.

Obtenir des informations sur les chercheurs

Il y a plusieurs façons d'avoir des informations sur les chercheurs :

  • Sur le site du laboratoire ou de l'université du chercheur.
  • En utilisant la plateforme  ResearchGate qui est un réseau social destiné aux chercheurs. /ResearchGate.
  • Sur  Google Scholar il est également possible d'avoir des informations sur les publications d'une personne.

Conclusion

Pour la plupart des sciences, une seule étude ne représente pas un degré de preuve suffisant : il est préférable d'avoir un corpus de preuves, c'est-à-dire plusieurs études indépendantes. En ce sens, la méta-analyse est un outil important pour se faire une idée sur l'état de la recherche dans un domaine précis, quand cela est applicable.